Marine
Non ! Pourquoi as-tu fait ça ?
Vite, sauve-toi !
Marine se réveille en sursaut avec une sensation de pression qui s’abat sur son cou.
Une voix lui susurre à l’oreille comme pour la prévenir d’un danger, si familière.
Sauve-toi tant qu’il en est temps !
Elle ouvre les yeux. Les images s’effacent, la menace et la peur tentent de se dissiper, omniscientes. Son cœur qui s’emballe essaie de s’apaiser. Le calme. Après ce bruit qui tape dans sa tête. Elle tente de regarder autour d’elle, mais un seul œil s’ouvre. Elle a mal un peu partout, surtout dans le ventre, et les côtes. Un mal de crâne lui transperce le cerveau. Tout son corps lui semble douloureux. Sa tête lui tourne. Le regard embrumé. Tout lui semble vague et flou, et si lumineux. La lumière rentre dans la pièce blanchâtre, immaculée comme les draps qui la recouvre. Éblouissant ! Elle a été plongée dans l’obscurité… mais combien de temps ? Il lui faut s’acclimater à l’ambiance qui l’entoure. Des bruits de fond lui parviennent à l’oreille. La jeune femme se sent perdue, inquiète face à une situation qui lui échappe. Ses souvenirs, insaisissables. La perte de ses repères, l’incertitude, une peur immense avec la sensation d’un danger imminent. Presque terrifiant. Des gouttes lui perlent le front et dégoulinent le long de la nuque et son dos. La peur, omniprésente, sans en comprendre le sens. C’est avec panique qu’elle ferme les yeux pour se concentrer, recherchant dans sa mémoire une parcelle de lucidité. Seuls planent un calme et un silence apaisants. On se serait presque cru au paradis. Est-elle morte ? Non, elle ne le croit pas, la douleur ne serait pas aussi présente. Elle n’est pas encore en enfer, juste un moment d’accalmie. Dans l’œil du cyclone. Se rattacher au réel, la lumière qui filtre laisse entrevoir d’autres immeubles et la cime d’arbres. Non elle n’est pas morte, mais complètement dépaysée et perdue seule face à l’inconnu. Elle ne se souvient même pas de sa maison, elle ne veut plus se rappeler. Y penser lui tiraille le cœur. Elle rêve d’un ailleurs, elle rêve du paradis.
Un clapotis venant de la pièce d’à côté. Un robinet qui goutte. Le battement de son cœur résonne dans ses tempes. La main posée sur son front afin d’apaiser les coups qui tambourinent dans sa tête amplifie la souffrance au niveau des côtes et lui demande un effort considérable. La douleur la fait grimacer. Chaque partie de son corps semble être passée sous un rouleau compresseur.
Un goût de médicaments dans la bouche et dans le nez l’atmosphère chargée d’antiseptiques et d’eau de Javel. La pièce est chaude, ou est-ce elle qui a chaud ? Elle a de grandes difficultés à tourner la tête, tant son visage lui fait mal. Que s’est-il passé ? Les souvenirs se mélangent, fugaces, et flous, sans qu’elle puisse les comprendre. Un léger goût de sang dans la bouche. Sa langue est légèrement boursouflée et entaillée. Elle a dû se la mordre aussi. Elle a soif. La pièce se met à tourner alors qu’elle essaye de bouger. Une envie de vomir lui vrille l’estomac. Elle ravale le peu de bile qui vient du fond de sa gorge. Un goût amer.
Marine entend quelqu’un frapper à la porte, et voit arriver une femme en blanc. Elle s’approche.
— Comment allez-vous ?
Elle veut parler, mais se rend compte qu’elle est incapable d’émettre un seul son. Elle ne sait pas pourquoi. Elle a mal, une envie de pleurer, elle se sent seule. Elle a pour unique réponse quelques larmes qui coulent sur ses joues, et qui lui caressent le visage comme une libération. Il faut que tout s’arrête. Que la souffrance s’arrête.
— Nous allons bientôt vous redonner de quoi apaiser votre douleur, reposez-vous bien. Il va vous falloir du temps pour vous remettre de votre agression. La police vous interrogera quand vous serez capable de répondre.
Elle ne se souvient plus de ce qu’il s’est passé, ou peut-être n’a-t-elle pas envie de s’en souvenir. C’est trop douloureux. Elle n’en comprend pas le sens. Pourquoi elle ?
Par hasard, son regard affolé se pose sur un bouquet de fleurs.
— C’est votre mari qui l’a déposé. C’est lui qui vous a retrouvée inconsciente. Il s’inquiète beaucoup pour vous.
À ces paroles, une bouffée d’angoisse surgit et l’oppresse, tandis que le visage de son mari, un brun typique des gens du sud se superpose à celle de son fils se profile devant ses yeux, sa fragilité, sa petite bouille attendrissante, ses sourires charmeurs. Toutes ces visions s’évanouissent doucement lorsque l’infirmière lui injecte avec une seringue un produit dans sa perfusion. Peu à peu, Marine s’enfonce dans le sommeil. Elle se sent lasse, lasse de cette vie, épuisée, mais elle doit tenir. Au moins pour l’une des personnes les plus chères à son cœur : son fils. Car elle a une certitude : elle doit le sauver.
Le printemps dévoile ses couleurs et le soleil pousse à la convivialité, aux sorties, à mettre son nez dehors. Les gens renaissent après un hiver glacial, à rester bloquer dans la neige, la chaussée glissante par le verglas. La neige a fondu, les bourgeons éclosent. Bientôt, une multitude de fruits à cueillir, comme ces jeunes demoiselles qui s’apprêtent pour qu’on fasse de même. L’amour en plein essor. Le bourgeon devient fleur, puis fruit. La chenille devient chrysalide, puis un magnifique papillon aux mille couleurs.
Au loin, un petit groupe avance d’une marche joyeuse fêter la victoire.
Hugo, jeune homme de 24 ans, entre bras dessus bras dessous dans le pub du Sullivan avec Jérôme, Nicolas, David et Sébastien. Ils ont réussi leur match de baseball. Une victoire de plus à leur actif. Ils franchissent les portes et sont aspirés par le bruit ambiant, les corps qui se collent, moites et les émanations d’alcool. L’homme adore cette atmosphère de fête. La vie dans son meilleur appareil. Les rires, les sourires, des rencontres, tant de choses à se mettre sous la dent. Tant de jeunes, des jeunes travailleurs, des étudiants. Les générations se confondent et se lient. Hugo s’approche du bar bondé parce que, comme tous les vendredis soir, il y a du peuple. Il tente de se frayeur un chemin pour commander plusieurs pintes de bière. David le rejoint pour l’aider à porter les verres jusqu’à la terrasse où la petite amie de Nicolas l’a rejoint pour le féliciter. On ramène quelques chaises en plus, déplaçant une autre table pour agrandir l’espace disponible pour trinquer. Les étudiants de la faculté d’à côté sont la plupart ici, des têtes ordinaires que Hugo côtoie chaque jour. Il se sent à l’aise, entouré des siens. La moyenne d’âge est d’une vingtaine d’années pour la plupart. Hugo est en licence de commerce parce qu’il va reprendre l’imprimerie de son père. Ce n’est pas ce qu’il souhaitait faire à l’origine, mais il a en héritage un patrimoine qui est là depuis des générations. Il ne peut pas y couper. Bon gré mal gré, il cumule les diplômes et les bonnes notes, tant pour son estime personnelle que pour prouver à son père de quoi il est capable, afin qu’il soit fier de lui. C’est un artiste dans l’âme, et dès lors qu’il ne sera plus sous le regard du paternel, il continuera à arpenter les cours d’écriture, et de photographie, ses passions. Son père saura un jour de quoi il est capable, il se le promet. Il ne sera plus une merde.
Anne, la petite amie de David ne vient pas seule. Une jeune fille, tout juste sortie de l’adolescence, âgée à peine de 18 ans, en retrait, mutique, souriant à chaque fois qu’on la regarde en rougissant. Elle est à croquer, belle comme une déesse. Hugo n’a d’yeux que pour elle. Il la dévore. Le peu de mots qu’elle prononce l’émeut. En la voyant arriver, avant qu’elle s’assoie autour de leur table, il se lève brusquement pour déplacer une chaise afin qu’elle s’y installe. Puis il lui demande ce qu’elle prendra à boire. Un coca seulement. Plutôt soft comme boisson. Alors que tout le monde est passé à sa troisième pinte de bière. Tout en elle lui fait tourner la tête, ses jambes fines, sa taille svelte avec une poitrine généreuse. Des boucles châtains qui tombent sur ses épaules. Un sourire qui décoiffe, tant il brille. Il sait à cet instant qu’il la désire, que tout son être est attiré par sa fragilité, le mystère qui émane d’elle. Comme quelque chose de profond et d’obscur qu’il aimerait sonder. Une envie de lui arracher des cris de joie, des gémissements de jouissance sur ce sourire si énigmatique. Il a envie de la pénétrer, savoir ce qu’elle cache en elle. Une jeune fille si pudique et si lumineuse aussi, avec un sourire énigmatique. Mystérieuse. Elle a cette innocence et cette fraicheur qu’il a perdue depuis longtemps. Un ange, avec un corps qui le consume, lui fait tourner la tête. Il la dévore des yeux et il devine la beauté fatale qui se dessine derrière chaque parcelle de sa peau. Elle brille de tout son être. Il sent que derrière ses vêtements classiques se cache un trésor qu’il aimerait prendre dans ses bras. Sentir l’odeur enivrante de sa peau, toucher les moindres recoins de son intimité. Il sent en dessous de son T-shirt poindre ses tétons et une poitrine voluptueuse qu’elle cache, comme si elle ne savait pas comment se mettre en valeur. Il saurait lui montrer. Il saurait la révéler sous son meilleur jour. Elle est si belle. Il veut la revoir, il doit la revoir. C’est son ange descendu du ciel, celle qui le fera vibrer de tout son être, celle qui lui montrera le chemin du bonheur.
Je n’ai vu que tes yeux vert émeraude qui me fixaient d’un air enjoué, avec tes joues qui rosissaient dès que je posais mon regard sur toi. Tu étais si belle, avec tes boucles châtains le long de tes épaules, qui entouraient un visage avec une telle finesse et douceur. Je te voulais. C’était toi.