Camille est allongée sur le divan, plongeant dans les profondeurs de ses souvenirs, pendant que le thérapeute la met en état hypnotique.
5, 4, 3, 2, 1, 0. scinder son inconscient qui n’est qu’un immense puzzle insondable et un épais brouillard sur lequel elle marche quotidiennement. Des sables mouvants. Comment affronter l’avenir quand elle ne sait ce qu’elle a été par le passé ? Des flashs, des photos souvenirs sur lesquels se raccrocher. Rien du vide, que du néant. Le noir complet. Parfois des voix. Les rires ont disparu. Une odeur d’un plat sur lequel se raccrocher. Sa mère ne l’aide pas beaucoup non plus. Sa mère lui parle d’un dramatique accident de voiture où son père est mort et où Camille s’est retrouvée en coma et en catatonie pendant plusieurs semaines. À son réveil, elle avait perdu tout son passé.
Camille a dû se reconstruire avec du vide, se construire de nouveaux souvenirs. Une mère militante. Camille est admirative de sa mère militante pour les droits des femmes, pour la cause des femmes qui subissent des violences diverses, les violences sexuelles, les violences conjugales, par des manipulateurs, par des pervers narcissiques, par des pervers sexuels, qu’elles soient mineures ou majeures. Elle défend la cause des enfants maltraités, l’inceste, contre la prescription. Sa mère est sur tous les fronts. Presque hyperactive. Lorsqu’elles sont face à face, les deux femmes discutent sur ces sujets à bâtons rompus, en accord pour défendre leur droit au respect. Camille sent que cela la touche au plus profond d’elle-même sans en connaitre la cause.
Sa mère a peu gardé de photos souvenirs. Pourquoi ? Camille ne le sait pas. Camille est allée fouiller dans son acte de naissance, puis remonter dans l’arbre généalogique, et continuer ses recherches sur internet afin de trouver des traces de photos de son père décédé. Il était avocat. Il doit être facile de retrouver quelques traces de son visage. Camille rêvait de cet homme qui devait être un homme bon. Un avocat défend certainement les bons. Sa mère l’avait épousé parce qu’ils avaient fréquenté les mêmes bancs d’école.
Maman adorait le droit, elle qui aimait militer pour le droit des femmes. Elle l’avait surement rencontré dans les cours des tribunaux. Maman rêvait de tout faire, journaliste, avocate, juriste… mais elle a vécu aux crochets de papa, dit Camille. Elle m’a dit qu’elle se sentait grandir auprès d’un tel homme si réputé et si primé même si elle ne travaillait pas. Il la rendait si belle.
Il semblait si beau dans son habit, dans les journaux qui le congratulaient pour ses exploits. Il avait du succès, et réussissait à gagner ses procès.
Camille a de la peine, elle aurait voulu se souvenir de lui, être dans ses bras, lui dire « je t’aime papa » et qui lui réponde « moi aussi ma princesse, je t’aimerai toujours »
Mais elle sait au fond d’elle-même qu’il l’a toujours aimé. Très aimé, à la folie, passionnément.
Camille plonge dans les profondeurs avec son hypnothérapeute. Il lui fait ouvrir une porte.
Je vois une petite fille qui court sur la plage, mes parents me regardent. Je suis toute nue. Je fais des châteaux de sable. Papa est là pour m’aider. Lui aussi est nu. Tout le monde est nu. Il m’emmène sur ses épaules dans la mer. Je crie. Je ne veux pas être mouillé. Il me chatouille. Je rigole. Il me prend contre lui. Il se met à genoux dans l’eau et il me met à califourchon sur lui. Je sens quelque chose de dur entre ses cuisses. Cela me fait mal. Je pleure. Papa, tu me fais mal. Ce n’est rien ma princesse, c’est mon genou. Je le crois. Il embrasse mes larmes. Je m’apaise.
Camille sort de son état et ne comprend pas ce qu’elle vient de voir. Elle a l’impression d’étouffer. Quelque chose se bloque dans son ventre.
- Pleurer si vous le voulez lui dit le thérapeute, cela doit sortir.
Mais elle ne veut pas y croire, elle ne peut pas y croire. Et ce un faux souvenir. On lui a tant de fois rapporté des histoires de faux souvenirs induits par l’hypnose. Camille est bouleversée, et ne veut pas croire à ce qu’elle a vu. Son père, avocat, qui combat les méchants, ne peut pas avoir fait une chose pareille. Il a fait une erreur, il n’a pas fait exprès. Quel âge avait-elle ? Cinq ans ? Six ans ? Ce n’était qu’une seule fois ? Ce n’est pas si grave.
Ce soir, Camille va à un meeting avec sa mère qui traite du syndrome d’aliénation parentale lors de dénonciation d’abus commis par le père sur un enfant. Beaucoup de personnes sont présentes. C’est un sujet qui fait débat, car il est encore courant que dans les tribunaux, les mères qui dénoncent les abus que subissent leurs enfants victime d’inceste de la part de leurs conjoints se retrouvent dans le banc des accusés, car on les rend coupables de dénonciation calomnieuse pour soustraire les droits parentaux au père alors que c’est leur enfant qui a fait part de faits incestueux à leur mère.
- Maman, c’est horrible ! cela veut dire que ces pauvres mères sont obligées d’être hors la loi ou de remettre leur enfant dans les mains de leur père et laisser les abus continuer sans que la justice ne fasse quoi que ce soit ? Et on ne fait rien ?
- Non la justice ne fait rien, elle est pervertie, car on considère que les droits du père sont aussi importants que ceux de la mère quand bien même l’inceste peut avoir été reconnu. Même si la fille avoue que son père abuse d’elle on dira que c’est sa mère qui lui aura perverti l’esprit pour avoir sa pleine garde !
- Et que peut-on faire pour changer cela ?
- Nous sommes là ce soir pour faire changer cette mentalité justement. Pour que la parole de l’enfant soit reconnue. Parce que le syndrome d’aliénation parentale n’est qu’une invention et est quelque chose de minoritaire, mais que l’on sort à toutes les sauces parce que l’on refuse de reconnaitre que l’inceste existe, que l’on refuse de reconnaitre que l’homme est un loup pour la femme. Nous sommes dans une société d’homme, de machiste, une société majoritairement dirigée par des hommes et même les tribunaux le sont aussi. On fait silence sur l’inceste comme on fait silence sur la violence conjugale, sur la perversion narcissique, tout ce qui fait que l’homme domine sur la femme, que l’être humain domine sur le plus faible. Pas étonnant que certains se fassent justice soit même.
- Parce que certains le font ?
- Oui certains en arrivent à cette extrémité-là !
Camille n’ose pas demander à sa mère si elle savait ce que son père lui avait fait dans la mer, si elle savait et s’il avait recommencé.
Camille a peur de la vérité, peur de savoir que son père n’était peut-être pas celui qu’elle croyait. Il avait un métier honorable. Pourquoi aurait-il tout gâché ? Il connaissait la loi. Camille se demande si elle devait retrouver voir le thérapeute. Faux souvenir ou vrai souvenir ?
Tant pis ! Elle y va quand même. Elle a commencé, elle continue. Elle a soif de vérité. Plutôt une vérité que rien du tout. Et si c’est la bonne, tant mieux. Une fois qu’elle aura un ensemble, elle pourra en parler à sa mère et en discuter. Mais tant quelle n’a rien de tangible, sa mère ne voudra rien lui dire. Elle finit même par croire que la thèse de l’accident de voiture n’est qu’un leurre. A-t-elle raison ? C’est galvanisé que Camille se rend à nouveau chez son thérapeute, prête à en découdre avec son amnésie.
5, 4, 3, 2, 1, 0. me voilà plongée dans le quotidien de notre vie de famille. Je ne suis pas bien âgée. Mes parents et moi mangeons. Maman a l’air inquiète, et papa a un air sévère. Je suis assise sur ma chaise, trépignant, sentant le malaise, la tension du moment. Je sens que cela va éclater, comme tant d’autres fois.
Papa traite d’horreur le plat qui vient d’être servi, plat que pourtant il aime en temps normal dit maman, mais il n’est pas d’humeur. La journée s’est mal passée visiblement. Maman me dit d’aller dans ma chambre. Je pleurniche, car je n’ai pas mangé. Je m’en vais et me cache derrière un mur, regardant mes parents se quereller. Maman ne dit rien, mais papa lui hurle dessus, l’insulte, la frappe, la gifle, puis lui met des coups de poing dans le ventre avant de lui attraper les cheveux pour lui mettre la tête dans le plat, en lui disant de bouffer sa merde.
Camille qui idéalisait son père réalise qu’il n’est finalement qu’une ordure parmi tant d’autres. Cet avocat qui défendait les bons contre les méchants n’avait qu’une façade. Bon à l’extérieur et méchant au sein de sa famille. Qu’a-t-il fait de plus qu’elle ne sait ? Comment sa mère a-t-elle pu supporter ce monstre ? Camille comprend mieux pourquoi sa mère défend si ardemment les femmes victimes. Ce n’est pas qu’une cause qu’elle embrasse parce qu’elle y croit, mais parce qu’elle a vécu au plus proche la violence elle-même. Camille comprend mieux sa mère. Est-ce que toutes les femmes qui militent sont d’anciennes victimes ? des hommes ont-ils rejoint le groupe ? Faut-il passer par la souffrance pour comprendre cette cause ?
Sa mère l’a emmené une fois sur un meeting qui traitait des pervers narcissiques, des manipulateurs. Les femmes victimes de violences conjugales ne sont pas toutes des femmes « battues » « victimes de coups », les coups ne sont qu’un aspect des violences subies par les femmes. La violence psychologique, la violence sexuelle, la violence économique sont autant de violences. Certains sont des parfaits manipulateurs. Des hommes à doubles facettes ; parfaits d’apparences et des monstres à leur domicile si bien que les femmes qui parlent et dénoncent ne sont pas crues. Camille buvait les paroles de sa mère qui était l’une des nombreuses femmes à prendre la parole, témoignant à cœur ouvert du côté machiavélique de certains hommes, sans pour autant montrer l’horreur de ce qu’elle avait vécu. Camille ne savait pas à ce moment-là que sa mère en avait été une de ces victimes. Et elle n’imaginait pas à quel point la perversité de son père allait l’amener à utiliser la manipulation pour aller à ses fins.
5, 4, 3, 2, 1, 0. « Je suis la princesse de papa. Papa me fait un câlin, il est fâché avec maman, alors il est parti me rejoindre dans mon lit. J’entends maman pleurer dans sa chambre. Maman est triste ? Oui, maman est triste dit papa. Pourquoi ? Elle est déprimée. Cela veut dire quoi déprimée ? Cela veut dire être triste. Mais pourquoi elle est déprimée, papa ? Je ne sais pas, les femmes sont souvent tristes. Parce que vous vous êtes fâchés ? Oui, je suppose ! Et moi aussi je suis triste ma princesse, tu me consoles ? Sinon, je vais pleurer comme maman. Mais je veux consoler maman aussi, dis-je. Tu es ma princesse, et une princesse, cela console son roi en premier, après le roi console sa reine. Alors je console mon roi en lui faisant plein de chatouilles dans le bas de son ventre, il sourit, et je suis contente de le voir sourire. Je lui caresse son jouet qu’il me dit, et il devient tout dur. Il me dit que je fais mieux que maman, car mes petites mains sont toutes douces. Il me demande après de faire plein de petits bisous dessus. J’aime pas trop. Ça ne sent pas bon et c’est poilu. Après je peux m’endormir. Il me dit qu’on recommencera et qu’après j’aurai plein de jouets. Mais qu’il ne faut pas le dire à maman. C’est un secret. J’aime bien être la princesse de papa, il est mon héros. Je suis sa préférée. Même si c’est un peu bizarre. Il m’aime. »
Camille se lève, elle a la nausée. Il a recommencé. Combien de fois, encore et encore ? Se servir des querelles de ses parents pour pouvoir abuser d’elle, c’est ignoble. Il a continué. Jusqu’à quel âge ? Sa mère triste ? Les femmes toujours tristes ? Une honte. Si elle était malheureuse, à bien y croire c’était la faute de son père qui la brutalisait. Combien de temps cela a-t-il duré ? Combien de temps ce bourreau a-t-il sévi au sein de sa famille pendant qu’il faisait le beau dans le milieu professionnel ? Quand elle voit les coupures de journaux, pléthores d’applaudissements et de congratulations alors qu’il se montrait sous son vrai jour en privé : un monstre, un pervers. Tout n’était que façade. Il manipulait son monde. Qui aurait pu croire sa mère et Camille si elles avaient dit la vérité ? Un avocat renommé abuse de ses femmes ? Tout le monde aurait ri au nez ! Finalement, l’accident s’est trouvé au bon moment ! Il avait court-circuité les abus d’un pervers que rien ne pouvait arrêter. Le hasard avait bien fait son œuvre pense Camille. Bien sûr, personne ne mérite la mort, mais après tout ce que Camille avait entendu sur les meetings avec sa mère : l’impunité de certains agresseurs, certains manipulateurs qui ressortent blancs comme neige, les mères qui se retrouvent sur les bancs des accusées, les enfants aux mains des pervers sans que la justice fasse quoi que ce soit, les manipulateurs narcissiques qui continuent de sévir et de manipuler leurs conjoints en utilisant leurs enfants pour les atteindre en faisant d’irrémédiables séquelles sur les descendants. Leur buts est d’atteindre leurs femmes, d’abuser et détruire, peu importe si leurs enfants sont dans leurs pattes et en souffrent, car ils ne veulent qu’assouvir leur désir, leur désir de vengeance, de destruction, de possession, rien d’autre, et pour cela, peu importe le prix à payer. Et ils se sentent au-dessus des lois. Et Camille comprend mieux pourquoi son père a choisi le métier d’avocat, cela lui permet d’avoir un statut qui le met au-dessus de tout et le rend inatteignable. Qui penserait qu’un avocat ou un homme de loi puisse enfreindre les lois qu’il défend ? Personne ! Défendre la veuve et l’orphelin alors qu’il abusait de sa fille et frappait sa femme ! Il manipulait son monde et savourait son œuvre. Non, elle n’était pas la princesse de son père. Son père ne l’aimait pas. Tout comme il n’aimait pas la mère de Camille pour la traiter de la sorte. Il n’aimait que lui. Il l’aimait que pour assouvir son désir de sexualité. Elle n’était qu’un objet sexuel, qu’un sexe. Qui sait jusqu’où il est allé ? Camille a peur de savoir. Mais elle en est certaine, il est allé trop loin.
Camille n’a jamais eu de petit ami. Elle sait maintenant pourquoi. Du haut de ses vingt-cinq ans, une aventure ne l’a jamais tenté. Embrigadée par sa mère dans ses meetings, militant pour l’aide aux femmes victimes de violences, Camille a intériorisé le fait que l’homme était un monstre pour la femme. Maintenant qu’elle connait une parcelle de son enfance, de ses souvenirs, elle comprend mieux pourquoi elle a fait le choix — est-ce un choix ? — de ne pas avoir eu d’aventure avec un homme. Elle est censée être vierge. Camille est très peu allée voir sa gynécologue. Force est de constater que sentir les mains et un objet dans son utérus la terrorise. Elle prend tout de même rendez-vous pour avoir le cœur net. Une question qu’elle n’a jamais posée vu que cela ne lui a jamais effleuré l’esprit. En somme, tout à fait normal pour une femme de son âge, d’être considérée comme non vierge, mais Camille veut savoir si sa gynécologue peut voir si elle a déjà eu un rapport sexuel. Alors elle y va, prête à en découdre. Se déshabille pudiquement. Camille a toujours été pudique, et timidement prévient qu’elle a quelques questions à poser au médecin, peut être inhabituelle, car elle souffre d’amnésie. Camille s’assoit sur le fauteuil et se laisse ausculter. Elle demande alors si elle a déjà eu un rapport sexuel.
- Bien sûr, et je peux même vous dire que vous avez porté un enfant.
Camille se sent vaciller. Elle pâlit. Un enfant ? Elle a été enceinte ? De son père ? Il est allé jusqu’au viol ! l’ordure ! Sa mère l’a-t-elle su ? Comment a-t-elle réagi ? Tant de questions s’emmêlent dans sa tête. Comment a-t-il pu ?
Elle ne peut pas rester là sans rien faire. Elle doit savoir, savoir si sa mère savait. Sa mère a dû faire quelque chose, la connaissant militante comme elle est. Elle a dû tout faire pour l’arracher à son bourreau. Elle doit en avoir le cœur net. De ce pas, elle va voir sa mère qui d’un air interloqué se demande ce que lui veut sa fille.
- Tu savais ?
- Savoir quoi ?
- Tu savais pour papa ?
Sa mère met sa main sur sa bouche. Elle doit s’assoir. Elle craint de défaillir. Camille fait resurgir de profonds souvenirs qu’elle cherchait à occulter du mieux qu’elle pouvait par la lutte qu’elle menait auprès d’autres femmes comme elle.
- Tu te souviens ?
- Pas de tout, mais je sais des choses. Maman, savais-tu ?
- Oui, j’ai su.
- Et qu’as-tu fait ?
- J’ai essayé de t’éloigner de ton père du mieux que je pouvais. Jusqu’à l’accident.
- Tu as su pour le bébé ?
- Oui tu avais 14 ans.
- Et où est-il ?
- Il est mort dans l’accident de voiture. Ton père était fort, très fort. J’ai voulu divorcer, et avoir ta garde, porter plainte pour tout ce qu’il t’avait fait.
- Et ce qu’il t’a fait aussi.
- Tu te souviens de cela aussi ?
- Oui maman. Je me souviens. Je suis désolée pour toi.
- Mais tu te rappelles ce que je t’ai expliqué sur le syndrome d’aliénation parentale ? Ton père me l’a mis devant mon nez, il m’a dit que personne ne me croirait, que je serais traduite en justice si je te gardais avec moi pour enlèvement. Il connaissait les ficelles, personne ne pouvait croire une personne comme moi. Il était réputé, tout le monde l’aimait. Qui croirait-on ? Lui ou moi, une pauvre femme sans emploi qui criait sous les toits à la liberté des femmes ? Je ne savais plus quoi faire. J’ai rejoint des groupes de femmes à ce moment-là pour trouver des réponses. Pour te sauver, pour nous sauver. C’est l’accident qui nous a sauvés.
- Mais je ne m’en souviens pas.
- C’est peut-être mieux ainsi.
5, 4, 3, 2, 1, 0. j’ai une crise d’angoisse. Je suis dans la voiture. Maman et papa sont en train de se quereller une nouvelle fois. C’est à cause du bébé. Je le sens bouger dans mon ventre. Papa dit qu’on va avoir un beau petit frère. Maman devient folle. Elle veut divorcer. Papa tente de la persuader du nouveau bonheur à venir, un nouveau bébé. Tu as violé ta fille ! tu vas aller en prison ordure. Je sais ce que cela veut dire le mot viol. Je ne veux pas d’un bébé. Je ne veux pas du bébé de papa. Papa, je ne l’aime plus. Il me fait mal. Il est méchant. Il n’aime plus maman, et j’en ai assez d’être sa princesse. Je veux être une adolescente normale. Faire des études, sortir, et ne pas me cacher avec ce ventre qui gonfle comme un ballon. Je veux une vie comme les autres jeunes filles. Papa est une ordure. C’est un pervers. J’ai découvert ce qu’il me faisait avait un nom, sur internet : inceste. Pénalement puni par la loi. J’entends papa et maman se disputer. J’entends maman parler de plainte, papa l’en dissuade, elle ne pourra rien contre lui. Il est avocat. Elle voudrait avoir ma garde, partir loin de lui, pour qu’il ne m’approche plus, qu’il ne me viole plus, mais il a réponse à tout. Elle n’est rien sans lui. Elle n’a jamais rien fait de sa vie, c’est toujours lui qui a ramené la paie. Il l’insulte. Il l’anéantira, car il gagne toujours. Elle n’est qu’une pauvre fille, elle n’a jamais su rien faire de ses dix doigts, elle n’a jamais su tenir une maison, faire un métier convenable comme lui, le garder. C’est lui qui porte la culotte, elle n’est qu’une pute qui se donne l’allure d’une bourgeoise et d’une intello alors qu’elle est incapable d’aligner dix mots. Il dit qu’elle ne pourra rien faire contre lui, il gagnera contre elle, elle perdra ma garde elle perdra tout et finalement je serais seule aux mains et au sexe de mon père, sa seule possession. C’est lui qui aura mon éducation, car c’est lui qui sait tout, qui a fait des études et qui sait mieux qu’elle. Je comprends que je ne suis rien d’autre qu’un trophée pour mon père, qu’un objet seulement pour gagner contre ma mère. Je sais que maman est intelligente, parce qu’elle m’aime et me respecte. Papa a beau avoir des diplômes, il n’a aucune psychologie. S’il était si intelligent, il saurait que l’inceste est prohibé depuis la nuit des siècles, qu’on ne viole pas, qu’on ne frappe pas, qu’on respecte son prochain, et qu’on respecte les lois qu’on est censé défendre. Papa est donc bête ou un pervers. Un odieux personnage. Je ne suis rien pour lui. Du haut de mes quatorze ans, je comprends tout. Papa est bête, car il étale sa science à maman, mais aussi devant sa fille, en l’occurrence moi, comme si j’étais assez bête pour ne rien comprendre. Je sens maman impuissante. Comment va-t-elle gagner le combat face à un monstre pareil, face à un pervers et un manipulateur qui ne pense qu’à nous détruire ?
Je sens que ma crise d’angoisse revient. Je mets mon sac plastique devant ma bouche et respire pour apaiser l’hyperventilation qui se profile. Je sens les battements de mon cœur se ralentir peu à peu pendant que se profile une idée. Je n’en peux plus de ces cris dans la voiture, je n’en peux plus de ce corps qui enfle, avec cet être qui prend possession de moi. Je sais que je dois faire quelque chose pour maman. Pour tout ce qu’il a fait envers elle, les violences aussi.
Je prends le sac plastique et pendant que papa conduit, je le lui mets sur la tête tout en le tenant fermement à l’arrière du siège. Il se met à hurler, hurler comme jamais. Il ne voit plus rien. Puis c’est l’accident. J’ai gagné. Maman a gagné.